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Michel Serres, 'Retour au Contrat Naturel' [Audiobook]
Lorsquil publie Le Contrat naturel aux ditions Franois Bourin, 1990, Michel Serres fait plus quexprimer un tat de sa recherche philosophique. En intellectuel, il sengage au cur mme dune question fondamentale pour lavenir de lhumanit : le souci cologique. Quelles sont les limites de la plante terre ? Quels sont les devoirs des civilisations modernes envers elle ? Y a-t-il une fin de la nature prvisible ou prvue ? Lors de lenregistrement de la confrence la Bibliothque nationale de France en 1998, un passage na pas t enregistr, en raison dun dysfonctionnement technique. Le texte manquant est retranscrit ci-dessous. Il se situe au niveau de la piste 17 du CD1 : Sujet, objets, connaissance Toute la question porte sur le statut des sujets dabord et des objets ensuite. Jai propos la notion de Contrat naturel et il a paru fou certains, il appart mme dlirant, de proposer un Contrat qui engagerait ou pour lequel sengagerait simplement un objet : lobjet-monde, lobjet-nature. Autant faire un cheval Snateur ou martre la Nature. Posie ou folie. Que je sache, lon a object les mmes critiques Rousseau, puisque le Contrat social ne fut jamais sign, dans lhistoire connue ou connaissable par aucun homme ni aucun collectif, et quil dsigne, chez le philosophe, la condition sine qua non ou transcendantale de la formation des socits. Lon aurait pu, de mme, critiquer Bacon de la mme faon : qui commande-t-on, qui obit-on, dans son adage quon ne commande la Nature quen lui obissant ? Arrive-t-il que des kantiens ne comprennent pas ce que signifie le terme condition ? Or, tout ce que je viens de dire de la globalisation a pour but de dcrire la transformation progressive et profonde des statuts respectifs des objets dans le processus qui fait crotre action et connaissance vers luniversel comment le statut objectif du sujet collectif varie, puisque, anciennement actif, il devient lobjet global passif des forces et contraintes en retour de ses propres actions, et comment le statut de lobjet-monde varie, puisque, anciennement passif, le voici, son tour, actif en retour, et puisque, anciennement donn, il devient notre partenaire de fait. Je vais dfinir comment, plus prcisment. Mais avant cela, nous ne pouvons plus dcrire la scne de la connaissance au moyen du couple mdival sujet-objet : les termes eux-mmes changent, ainsi que leur relation. Pour ce qui concerne cette relation, je ne connais aucune connaissance qui ne commence, aussi, par des conditions de droit, dont limpact augmente dans lhistoire des sciences au moins aussi vite que les conditions de globalisation. Tout savoir demande, en effet, un accord ou consensus que seules des instances de droit et de fait se chargent dtablir. Lenseignement nous fait passer devant des jurys dexamens, de passages, de concours, de prix ou de publication Avant de proclamer quoi que ce soit vrai, faux ou probable, avant mme de dire que ceci ou cela est ou non un objet, de science ou de non-science, telle instance en dlibre et en dcide, pendant un procs largement contradictoire. Des sujets de droit disent le droit des objets. Histoire des causes Ces conditions juridiques nont pas toujours vit de mortelles conclusions. Tout le monde stonne, aujourdhui, du procs de Galile, comme si cette action, exceptionnelle, avait fond la science moderne cela montre limmense inculture de notre re. Car je ne connais point de savant grec proccup de science objective, astronomie, physique ou mdecine, qui nait un jour comparu devant les tribunaux et risqu ou laiss sa tte pour avoir interrog les astres, les cristaux ou les plantes, sous le chef quil se dsintressait des choses politiques et des affaires de sa patrie. Le philosophe non engag se trouve exclu de la communaut. Que la chose merge avec la cause, lhistoire grecque des grands procs latteste en surabondance. Plutt rare dans laire et dans lre chrtiennes, le procs de Galile me parat, dsormais, un reste de cette lointaine histoire. Que les grandes philosophies occidentales - de Platon et Aristote Hegel - cherchent dcouvrir, comme je lai not en commenant, le lieu commun do penser la fois la science et le droit me parat une trace large de cette origine. Pourquoi appelons-nous dun mme terme les lois de lune et de lautre, pourquoi dit-on ou ne dit-on pas nature pour le monde et pour les hommes ? Or nous devons, aujourdhui, penser un nouvel objet qui dpasse de loin le statut des objets locaux, puisque certains gards nous devenons les objets de cela dont nous ne savons mme pas sil est un objet : si nous traitons le monde comme un objet, nous nous condamnons devenir, notre tour, objets de cet objet. Pour penser cette situation nouvelle, nous revenons donc au geste juridique dorigine : cet objet nouveau-l merge la pense par un nouveau Contrat, qui tablit la fois cet objet global nouveau et le nouveau groupe global qui le pense, qui agit sur lui, dont les dbats le font apparatre, dont les actions le font ragir et dont les ractions conditionnent en retour la survie mme du collectif qui le pense et agit sur lui. Depuis plus de vingt ans, nous ne faisons qutablir les bases de ce que jai nomm pour lavoir entendu signer le Contrat naturel. Que, pour avoir repris ce geste, des philosophes politiques pour qui le monde ni la science ni le droit nexistent, maient, violemment et sans mavoir lu ni compris, critiqu, ma paru dun prix fort lger par rapport au traitement qui aurait d mtre inflig. Sans doute ma tte a-t-elle t sauve par le fait que les hommes politiques ont pris au srieux, depuis lors, les problmes en question. Le dbat juridique a commenc, la collectivit mondiale prend acte de lexistence et du statut de ce nouvel objet que, faute de mieux, nous continuons dappeler la nature et, en se runissant son propos, ils signent de fait le Contrat naturel. La philosophie a pour rle, parfois hroque, danticiper lavenir. Michel Serres